Ainsi que nous l’annoncions dans nos billets introductifs de ce blog en Janvier 2011, et suite au rejet d’une proposition sénatoriale sur l’euthanasie à cette date, une nouvelle proposition de loi vient d’être déposée au Sénat, faisant suite aux débats relancés par la récente campagne électorale présidentielle. Nous écrivions d’ailleurs dès l’époque que malgré cet échec, il fallait compter avec la « liberté démocratique faisant que toute proposition non retenue peut être à nouveau soumise à débat jusqu’à ce qu’elle soit acceptée ». Les sénateurs n’ont pas tardé à mettre en pratique cette liberté.
Pour replacer les choses dans leur contexte historique récent, la proposition de loi N°656 (2009-2010) relative à l’aide active à mourir était déposée au Sénat le 12 Juillet 2010 et était animée par le sénateur Jean-Pierre Godefroy. Révisée en commission conjointement à deux autres projets de loi sur le même sujet, une proposition commune était alors construite le 18 Janvier 2011 pour devenir « relative à l’assistance médicalisée à mourir », le rapporteur de la commission étant Jean-Pierre Godefroy. Après son rejet par le Sénat en première lecture le 25 Janvier 2011, Jean-Pierre Godefroy déposait le 31 Janvier 2011 un nouveau texte sous le même titre et sous le N°312(2011-2012), à peine remanié sur quelques détails de forme et essentiellement sur les délais exigés des collèges de médecins pour rendre leurs avis sur la recevabilité d’une demande. Le sénateur Roland Courteau rejoignait à cette occasion la liste des cosignataires de la proposition de loi. Sans attendre la suite donnée à cette-dernière, le sénateur Courteau déposait enfin le 8 Juin 2012 un dernier texte sous le N°586(2011-2012) relatif à l’assistance médicalisée pour mourir et à l’accès aux soins palliatifs.
La nouvelle proposition de loi reprend pour l’essentiel les éléments de la proposition N°312(2011-2012) avec à nouveau quelques aménagements de forme un peu plus marqués et une nouvelle modification des délais de réponse médicale. Elle supprime par ailleurs la mention du devoir des professionnels de santé de se former à l’assistance médicalisée à mourir, et pose un devoir d’information du demandeur sur les possibilités offertes par les soins palliatifs ainsi qu’une aide à en bénéficier si tel est son souhait. Un complément notable aborde enfin le coût des mesures d’assistance à mourir proposées et dispose de les faire supporter par « la création à due concurrence d’une taxe additionnelle aux droits visés par les articles 575 et 575A du code général des impôts », c’est-à-dire sur les ventes de tabac. Sur ce dernier point elle reprend une disposition identique présente dans la proposition N°656 (2009-2010) et qui avait disparu lors de la rédaction de la mouture commune du 18 Janvier 2011.
Force est de constater que l’évolution des textes proposés décrit un dispositif qui semble stabilisé, mais dont la présentation s’affine avec le temps. En outre, la formulation prend progressivement une allure plus « professionnelle » la rapprochant des textes législatifs habituels, laissant percevoir par contraste les tâtonnements initiaux, et conduisant à questionner le gain potentiel pour les sénateurs de disposer de collaborations plus aptes à donner à leur production une forme d’emblée acceptable pour publication.
Les fluctuations concernant les délais de réponse médicale évoqués témoignent à l’évidence pour ces délais de leur caractère de simple variable d’ajustement du texte permettant de le soumettre à délibération de manière répétée. Ce dont témoigne également la démarche du sénateur Godefroy de déposer à nouveau son texte à peine remanié tout juste six jours après son rejet. On constate à cette occasion un mécanisme de passage de relais d’un sénateur à un autre dans l’animation de l’activisme de la démarche jusqu’à ce que le texte soit un jour accepté à force de re-proposition, le second intervenant entrant dans le jeu comme cosignataire d’un texte avant de le reprendre à son compte après quelque temps.
Une trace de cet activisme apparaît également dans le texte lui-même avec la réapparition à trois reprises dans la seconde moitié du texte de l’expression « droit à mourir dans la dignité ». Cette expression, avec l’utilisation du mot « dignité » qui soulevait des notions trop ambiguës, et qui dénotait une proximité trop évidente avec l’association du même nom, avait pourtant été progressivement bannie des textes antérieurs. Elle l’est encore dans la première moitié du texte ainsi que dans son titre qui conservent la formulation d’ « assistance médicalisée pour mourir », avant de réapparaître comme par inadvertance dans sa seconde moitié. Mais s’agit-il là d’une simple erreur, ou est-ce la manifestation de la réticence de l’activisme à demeurer dans l’anonymat consensuel pour plutôt porter ses couleurs au grand jour ?
Dans ce contexte, la mention des soins palliatifs et la suppression de l’obligation de formation des soignants sur les procédures d’euthanasie font figure d’arguments de circonstance destinés à faire taire les objections soulevées lors des dernières propositions : si les soins palliatifs se posent en alternative à l’euthanasie, laissons leur le plaisir de quelques âmes à sauver et abandonner les plus tenaces à leur demande euthanasique ; l’important n’est pas de convaincre tous les soignants de la justesse de la cause et de les pousser à y participer activement, mais si au moins ils pouvaient simplement laisser agir ceux qui sont déjà convaincus !
Le financement de l’ensemble du dispositif par la création d’une taxe sur les tabacs est enfin une disposition ré-émergeant dans un contexte économique tendu afin de faire taire les critiques des « Combien ça va coûter ? » tout en apportant une allure de justice sociale sur l’exemple du pollueur-payeur : le tabac tue, alors à lui de payer les frais de la mort, et il n’y a pas de raison que les innocents qui ne sont responsables de rien aient à en porter le poids. Il serait pourtant facile d’objecter que l’alcool fait aussi sa part de dégâts, que la vitesse sur la route et le permis moto ont leur lot de morts sur la conscience, que le cholestérol distribué à profusion par les marchands de mayonnaise et que le sucre perfusé à haute dose par les vendeurs de sodas sont loin d’être en reste, que les imprudents alpinistes et autres parapentistes pourraient légitimement réclamer une part de responsabilité, que les irresponsables hygiénistes non contents de coûter un argent considérable en moyens d’asepsie et d’antibiothérapie moderne alimentent en candidats au cancer les divers spécialistes dispendieux qui recueillent ces rescapés que la mort n’a pas pu emporter avant qu’ils aient le temps de voir proliférer leurs métastases. Mais de plus que penser d’une taxe qui devrait financer le dispositif euthanasique « à due concurrence » ? Jusqu’à quel point le dernier fumeur de France devra-t-il financer l’euthanasie de ses concitoyens ? Les autres boucs émissaires assureront-ils le relais à l’extinction du dernier fumeur ? Ou l’euthanasie, à défaut de la mort elle-même, s’éteindra-t-elle avec la disparition du dernier consommateur de nicotine ?
Quoi qu’il en soit, le Groupe Charon se félicite que l’initiative soit aujourd’hui reprise en vue de l’adoption d’une législation euthanasique en France. Bien que restées depuis quelques mois dans l’expectative dans l’attente d’une nouvelle opportunité législative, les propositions antérieures du Groupe Charon retrouvent une actualité certaine. Le Groupe Charon est plus que jamais prêt à offrir au public les moyens de mettre en pratique cette liberté nouvelle dès que le cadre légal en sera ouvert.
Bien sûr, si l’ensemble de la récente proposition emporte sur son principe l’adhésion et le soutien du Groupe Charon, la problématique de son financement est pour lui une source de préoccupation. Comme il a été développé plus haut, son assiette limitée à la population consommatrice de tabac, si elle permet dans un premier temps de faire accepter l’idée euthanasique à l’abri des oppositions financières, ne permet certainement pas de laisser espérer un développement conséquent de sa pratique. Les autres sources de financement évoquées semblent par contre plus à même de conférer une pérennité au dispositif. Ce sera en outre un des enjeux du débat sénatorial, et espérons-le parlementaire, que de dessiner les contours d’un système de financement de la mort choisie viable sur la durée, apte à promouvoir les bénéfices de la libre entreprise, et à même de faire bénéficier au plus grand nombre d’une offre euthanasique diversifiée de qualité. Le Groupe Charon se tient naturellement disponible, avec l’ensemble de sa structure, de ses équipes, de ses capacités d’imagination et d’innovation, pour contribuer cette construction.
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