samedi 13 juillet 2013

Contribution au débat citoyen et ébauche d’une Philosophie de l’Euthanasie


La publication du rapport Sicard, puis de l’Avis 121 du Comité Consultatif National d’Ethique, l’annonce d’un prochain débat citoyen à l’automne, et de la mise en chantier d’un texte de loi en vue de son adoption en fin d’année sur la fin de vie, dans un contexte de promesse électorale présidentielle de réforme sociétale sur ce plan, ravivent les débats sur l’euthanasie et le suicide assisté. Poursuivant dans la mission dont il s’est emparé d’accompagner ce mouvement dans la perspective de proposer ses services dans la mise en œuvre d’une telle loi dès qu’elle sera promulguée, le Groupe Charon entend mettre à disposition de la réflexion commune sa capacité d’analyse et de proposition. A cet effet, il lui semble opportun de clarifier certains points quant aux notions d’euthanasie et de suicide assisté. En particulier, et bien qu’elles aient été abordées dans des billets antérieurs, deux types de questions émergent régulièrement dans ces débats : d’une part la question du droit de chacun à choisir sa mort, et d’autre part le rôle du soignant, et plus spécifiquement du médecin, dans la procédure létale.

Sur le plan du droit de choisir sa mort, la question ne parait en fait pas être réellement de savoir si l'on peut permettre à quelqu'un de choisir sa mort.

Chacun peut déjà user de ce droit, et il y a bien longtemps que personne n'a été condamné pour une tentative de suicide. La seule vraie difficulté concerne en fait uniquement les situations d'incapacité physique au suicide (tétraplégie, locked in syndrom, coma, ...). Reconnaissons néanmoins d'une part la rareté de ces situations compte tenu de laquelle il n'est pas certain que la loi soit le meilleur moyen de régler la singularité, et d'autre part que le débat sur l'euthanasie porte en fait sur des situations bien plus larges.

La question est en réalité de savoir si l'on peut autoriser quelqu'un à en tuer un autre, le premier fût-il médecin.

Une telle liste d’exceptions à l’interdit de tuer existe d'ailleurs déjà, assortie de la définition stricte des conditions dans lesquelles cette autorisation peut s'appliquer (militaire en action commandée, policier dans certaines circonstances, bourreau dans les pays qui ont encore une peine de mort, voire tout un chacun en cas de légitime défense si elle est proportionnée). Les motifs autorisant l'acte concernent dans tous les cas soit la protection de la société ou la sanction de la société face à une agression contre elle, soit la protection contre un risque vital à l'échelon de l'individu. La compassion ou le respect de la demande d'un individu, fût-il malade en souffrance, n'entre dans aucune de ces catégories. Accepter l'euthanasie ou l'assistance au suicide reviendrait ainsi à créer une catégorie complètement nouvelle de cette autorisation dont la portée devrait être réfléchie bien au-delà de l'acte soignant d'accompagnement.

La question est aussi de savoir si le médecin, ou le soignant en général, est le meilleur choix de personne susceptible de recevoir cette autorisation.

On pourrait à cet égard souligner des arguments de confiance avec un patient se sentant accompagné jusqu'au bout de son parcours. Ou présenter des arguments ôtant au patient toute latitude d'ambivalence et d'expression de sa détresse ou de sa révolte, se sachant entendu par quelqu'un à même de passer à l'acte. On constaterait alors le hiatus entre ces deux types d'arguments pourtant légitimes. Et on s'interrogerait alors sur la pertinence de conférer finalement plutôt à un non soignant, formé, agréé, assermenté, ... cette autorisation.

On pourrait de même s'interroger sur la cohérence de vouloir faire reconnaitre un droit au choix du moment de sa mort loin du pouvoir médical de décision, et simultanément de vouloir absolument réintégrer ce pouvoir médical dans la réalisation exclusive de l'acte. Soit le médecin a quelque chose à y voir soit il n'a rien à y voir : il y a un choix à faire, pourvu qu'il soit cohérent.

Pour certains néanmoins, la mise à disposition des produits létaux ne pouvant passer que par la rédaction d’une ordonnance, le médecin serait bien indispensable à la procédure. Le rôle du médecin se limiterait ici à celui de signataire de l'ordonnance pour se procurer le produit. Encore qu’elle témoigne d’une étrange conception du médecin, on doit admettre cette objection de faisabilité. Mais si le produit était accessible sans ordonnance, la nécessité du médecin disparaitrait alors.

De fait, un produit destiné à une action létale n'est pas à proprement parler un médicament. Par exemple, n'importe quel morphinique à dose massive peut faire office d’agent euthanasiant et si les morphiniques utilisés d'une certaine façon sont bien des médicaments, ils ont selon d'autres modalités d'autres usages pour lesquels une foule d'usagers n'a jamais eu le besoin d'une ordonnance.

Nouvelle loi pour nouvelle loi, il suffirait donc de ne pas chercher absolument à détourner un médicament de son usage thérapeutique mais d'autoriser la production de produits spécifiques, ou à des concentrations spécifiques, pour qu'ils n'entrent pas dans le champ du médicament et puissent donc bénéficier d'une filière d'approvisionnement et de distribution adaptée au projet euthanasique. Nul besoin de soignant dans une telle organisation.

A moins que la demande euthanasique (en dehors des situations d'impossibilité physique à la mise en œuvre d'un suicide) ne soit pas seulement une demande de mort, mais en fait une demande d'accompagnement "jusque-là". Pas seulement une demande d'être mort mais aussi une demande d'être tué. Tué par quelqu'un qui accepte de franchir ce pas avec nous, par respect, par estime, par compassion, par amour, ... Le Groupe Charon mesure toute la détresse qui peut s'exprimer dans de telles situations et ce qu'une telle hypothèse peut sembler froide et provocante, ce qu'elle n'est pas dans son esprit, mais il y a certainement à réfléchir aussi sur cet aspect des choses.

Ainsi que deviendrait le témoignage de solidarité ou d’affection inclus dans l’acte d’euthanasie tant qu’il reste transgressif dès lors qu’il serait banalisé et socialement reconnu, voire promu ?

Qu’y a-t-il derrière le fait de vouloir être tué plutôt que de se tuer soi-même ? Le désir d’une présence accompagnante ? Une présence veillant au bon déroulement des opérations ? Une présence pouvant prendre les choses en main et s’adapter en cas d’imprévu ? Une présence pouvant témoigner pour la postérité ? Une présence « autorisante » ? Une présence active par délégation de soi-même, témoignant jusqu’au dernier moment du pouvoir qu’on a non seulement sur soi mais aussi sur l’autre qui effectue le geste pour soi ? Est-ce une ultime proclamation de ce pouvoir ou au contraire un aveu à l’instant ultime de l’impossibilité de l’autonomie qu’on réclamait par le choix de mourir ? Car il n’est pas certain qu’il soit équivalent de se tuer devant un témoin, fût-il consentant, ou d’être tué par lui. La seule présence n’explique pas tout mais doit être complétée par l’action qui a sa valeur propre. Peut-être même n’est-ce pas non plus équivalent de se faire tuer par quelqu’un qui connait vos motivations, vos souffrances, vos espoirs, et les comprend voire les approuve, ou par un exécuteur de passage se contentant d’effectuer un geste émotionnellement neutre pour lui sans autre préoccupation. On n’abandonne probablement pas son corps comme on abandonne son véhicule à la casse sans se soucier de qui est l’épaviste qui s’en charge. La présence seule est insuffisante comme l’action seule est insuffisante. N’est-ce pas finalement le geste de cet autre, à la fois témoin et acteur et qui sait la valeur de son geste, qui donne du sens à l’euthanasie de celui qui réclame assistance ou procuration pour un geste qu’il aurait capacité physique à réaliser seul ?

Bien sûr la demande d’euthanasie de la part de celui qui n’est pas en capacité physique de suicide ne relève pas entièrement des mêmes considérations et mérite une réflexion séparée.

C’est en tout cas sur des préoccupations de cet ordre, sur une réflexion de cette nature, que le Groupe Charon entend d’une part participer au débat citoyen en cours de développement, d’autre part fonder l’éthique de son action, et enfin bâtir et sans cesse améliorer la qualité des prestations euthanasiques qu’il inclut et inclura dans son catalogue. Défrichant un domaine paradoxalement en grande partie vierge de considérations non partisanes, l’abordant avec un regard résolument soucieux des libertés, des nécessités psychologiques, et de l’efficience économique, le Groupe Charon s’honore de tenter non seulement d’en décliner les pratiques mais également de contribuer à cerner les contours de ce qui pourrait être une véritable Philosophie de l’Euthanasie.

dimanche 7 juillet 2013

Directives anticipées opposables : une fausse bonne idée


Une évolution récente de la réflexion juridique sur une prochaine législation pour une mort choisie semble tendre vers une extension de la nature des directives anticipées rédigées par un patient avant de ne plus être en état d’exprimer sa volonté. Cette notion de directives anticipées remonte à 2005 lorsqu’elle a été conçue par la loi Léonetti. L’évolution récente, tant dans l’avis n°121 du Conseil Consultatif National d’Ethique de Juin 2013 que dans les termes de la proposition de loi déposée à l’Assemblée Nationale le 13 Juin 2013 sous le n° 1140 par Madame Véronique Massonneau, députée Ecologiste de la Vienne, vise à rendre ces directives anticipées contraignantes et opposables, au lieu de leur conserver un rôle uniquement d’information du médecin lors des choix d’orientation des traitements qu’il est amené à faire en fin de vie de son patient devenu hors d’état d’exprimer sa volonté.

Si cette disposition a manifestement pour objectif de libérer la volonté du patient de celle d’un médecin éventuellement tenté par un acharnement thérapeutique, en affirmant la prééminence de la première sur la seconde, le Groupe Charon tient à alerter le législateur sur les dérives possibles d’une telle mesure.

En effet, dès lors que des directives anticipées seraient contraignantes au motif de la prééminence des choix du patient sur ceux du médecin, et sans autre condition, toute volonté du patient qui y serait exprimée prendrait cette prééminence, qu’il s’agisse d’un choix de mort choisie ou d’un choix différent, qu’il soit d’accompagnement, d’acharnement thérapeutique, voire de demande plus spécifique.

Face à une telle demande, la notion de refus d’obstination déraisonnable que le médecin s’impose à lui-même, incité en cela par le code de déontologie médicale, tomberait par exemple d’elle-même en tant qu’elle serait secondaire par rapport à la volonté antérieurement exprimée par le patient. Et serait condamnable quiconque allègerait ou interromprait une réanimation, une chimiothérapie, même devenue futile. De même deviendrait obligatoire par exemple le maintien d’un soutien transfusionnel illimité devant une leucémie évolutive malgré une efficacité devenue réduite à quelques heures, ou l’amputation d’un membre brutalement ischémié chez un patient en coma végétatif chronique.

Outre la prééminence des directives anticipées sur les choix médicaux, c’est la notion de liberté et d’autonomie du patient dans les choix concernant son état de santé qui s’exprime dans cette disposition. Dès lors, il serait difficilement compréhensible que cette autonomie ne puisse prévaloir que dès lors que le patient n’est plus en état de s’exprimer et ne puisse être reconnue à un patient conscient et lucide. Il est donc dans la nature de cette disposition de conférer à tout patient une prééminence de ses choix face à un corps médical dont l’action thérapeutique est dès lors définie comme étant de conseil, de proposition, de vérification de faisabilité, et de mise en œuvre des choix du patient. Seraient donc ainsi condamnables tous refus de geste chirurgical, de poursuite de chimiothérapie, de soutien transfusionnel, … quels qu’en soient les risques ou les conséquences chez un patient libre et éclairé qui les accepterait lucidement.

Dans ce contexte, il n’est pas douteux que l’adoption d’une disposition rendant les directives anticipées contraignantes, surtout si elle se couplait à une vaste campagne en promouvant la rédaction ainsi que le suggère le Comité Consultatif d’Ethique dans son avis n°121, aboutirait certes à la rédaction d’un certain nombre de directives imposant une mort choisie, mais stimulerait parallèlement une campagne conduisant également à la rédaction d’un certain nombre de directives imposant un acharnement thérapeutique. Elle créerait également un terrain limitant de fait les possibilités de renoncement par les médecins à un acharnement déraisonnable.

Au-delà des situations difficiles engendrées pour des patients et leurs proches par l’introduction d’une telle disposition, au-delà également de la transformation du rôle du corps médical ramené à un rôle de prestataire de service et dont l’ampleur des conséquences risque de largement dépasser la volonté du législateur, le Groupe Charon souhaite souligner le coût des conséquences d’acharnement thérapeutique tant au plan humain qu’au plan financier. Dans un contexte économique contraint, tout risque de majoration des activités de réanimation ou de chimiothérapie, voire de chirurgie, dont on connait les coûts les plus élevés parmi les actes de soin, conduirait à un alourdissement du déficit social lié à la santé qui ne serait probablement pas couvert par les économies réalisées lors de la mise en œuvre de choix euthanasiques. Un chiffrage précis resterait bien sûr à effectuer, mais en son absence il paraitrait déraisonnable de ne pas appliquer le principe de précaution au risque de dérapage des coûts de la santé. D’autant que ce risque trouve face à lui certaines propositions alternatives déjà avancées par le Groupe Charon visant à exclure les prestations euthanasiques du champ de l’assurance sociale, sous réserve de compensation financière des postulants à l’euthanasie à hauteur de tout ou partie des économies de dépenses de santé alors réalisées et destinée au financement des prestations euthanasiques. Une telle orientation permettrait à la fois de renforcer l’initiative entrepreneuriale privée dans le domaine de la mort tout en amoindrissant les coûts supportés par la collectivité à la jonction de la vie et de la mort. Elle ne remettrait en rien en cause le statut et le rôle de corps médical et éviterait ainsi toute friction dommageable à la liberté du patient comme du médecin.

Par cette alerte au législateur en particulier et du corps social en général dans la perspective du large débat citoyen annoncé pour l’automne 2013 autour des questions de fin de vie, le Groupe Charon souhaite apporter toute sa contribution à la réflexion commune, mettant sa force d’analyse et de proposition à la disposition de l’émancipation des libertés.

samedi 6 juillet 2013

Toutes les raisons d'espérer


L’année écoulée semblait prometteuse pour que la société française se dote enfin d’une législation ouvrant l’accès à une forme ou une autre de mort choisie. La dernière campagne électorale présidentielle avait vu parmi les propositions du candidat qui allait l’emporter se formaliser une promesse sur ce plan. Le contexte économique difficile ayant rendu aléatoire la réalisation des promesses le concernant, l’ambiance était prête pour que les nouvelles autorités s’attachent avec toute leur énergie au moins aux réformes sociétales promises. La réforme du droit du mariage avait montré à quel point cet attachement pouvait être vital pour elles et ne devait supporter aucun obstacle. Un rapport avait été commandé au Professeur Sicard, ancien président du Comité Consultatif National d’Ethique à l’époque où ce comité avait émis un avis n’excluant pas formellement la légitimité de l’euthanasie dans certaines circonstances, en vue de clarifier les enjeux éthiques d’une prochaine législation sur la mort choisie et de recueillir ses propositions concrètes.

Et puis une série de grains de sable sont venus enrayer cette mécanique. Le mouvement social d’opposition aux nouvelles règles du mariage s’est révélé plus obstiné que prévu, laissant l’image d’une volonté politique dogmatique et indifférente à la déstabilisation sociale engendrée par les choix dans lesquels ses promesses l’emprisonnaient. Il montrait aussi à quel point des bouleversements sociétaux pouvaient être vécus par certains dans la population comme des agressions de leurs conceptions de la vie et pas simplement comme des ajustements finalement tolérables de la vie en communauté. Et puis le rapport Sicard n’est pas allé dans le sens attendu, rappelant son opposition à l’euthanasie et au suicide assisté, envisageant uniquement la possibilité de rendre un mourant inconscient avant l’heure de son décès. Même la saisine du Comité Consultatif National d’Ethique en fonction s’est soldée par un demi-échec dans une ultime tentative de légitimation morale de la démarche de légalisation d’une mort choisie : tout au plus est-il fait état d’un débat au sein du comité dont seule la règle de la majorité, et non l’unanimité, lui font rejeter tant l’euthanasie que le suicide assisté ; de plus, la porte est laissée ouverte dans la poursuite de la réflexion en lui faisant inclure le recours à un débat citoyen.

En l’état actuel de ce processus, les autorités sont donc laissées seules face à leur désir d’aboutir à un texte de loi, munies d’un avis négatif, d’un avis refusant de trancher, et du conseil de recourir au débat public avant de présenter un texte annoncé pour l’automne en vue de son adoption annoncée pour l’hiver.

Dans ce contexte général, que peut-on attendre de la poursuite de ce processus : un texte mitigé reflétant les hésitations des avis des Sages, ou un texte volontariste faisant entrer la société dans une nouvelle dimension de la liberté ? Les opposants à l’euthanasie placent leurs espoirs dans la prudence des sages, et les tenants de l’euthanasie expriment leur déception quant à cette même prudence. Le Groupe Charon voit pourtant dans ce tableau plus de raisons de se réjouir que de raisons de désespérer.

Redessinons le tableau pour en mieux souligner les traits :

- une promesse de campagne,

- un sujet sur lequel il est possible de faire preuve de volontarisme sans la contrainte extérieure de la situation économique,

- la quasi absence d’autre sujet permettant ce volontarisme,

- un avis négatif d’un ancien sage, tempéré par un avis émis par des sages en fonction refusant de se prononcer et évacuant la question sur le débat public,

- une préparation du corps social déjà effectuée à l’occasion de la réforme du mariage à accepter un changement sociétal, traduisant la loi psychologique simple du premier pas voulant qu’une seconde couleuvre est toujours plus aisée à avaler que la première,

- un argumentaire déjà rodé avec en point d’orgue le fait que l’apport d’une nouvelle liberté réglementaire ne retire aucune liberté à ceux qui ne souhaitent pas l’utiliser,

- une opinion publique évidemment acquise au fait d’abréger des souffrances plutôt que de les laisser durer,

- la simplicité de la solution proposée face à la complexité imaginée d’accompagner une fin de vie en lui conservant du sens,

- un agenda programmé et des décisions promises à échéances déjà annoncées.

Que faudrait-il de plus pour se réjouir ? Le débat citoyen annoncé pour l’automne est à l’évidence dans ce contexte un artifice destiné à entériner une décision qui ne fait aucun doute. Comme ne fait aucun doute le texte qui sera présenté au bout du compte tant, comme l’examen des textes antérieurs auquel procédait notre billet du 23 Juin 2012 le mettait en évidence, le même texte à peine remanié fait l’objet depuis des années de toutes les propositions de loi sur le sujet. Sans doute y aura-t-il effacement diplomatique du terme euthanasie pour centrer le texte sur le suicide assisté mieux toléré, à moins que les deux formulations ne soient mises de côté pour leur préférer un terme plus englobant sur le modèle proposé par le Groupe Charon de « mort choisie ». Sans doute les difficultés que nous signalions dans notre billet du 30 Juin 2012 quant au financement du dispositif par une taxe sur les tabacs en feront-elles disparaitre la disposition. Mais il ne pourra s’agir que de variations à la marge d’un texte déjà structuré.

C’est de cette analyse que le Groupe Charon tire sa totale confiance en une émancipation inéluctable et proche tant des libertés individuelles que des libertés entrepreneuriales qui pourront enfin lui permettre d’offrir les prestations euthanasiques les plus complètes et les plus adaptées aux exigences de qualité auxquelles chacun peut légitimement prétendre. Certain de la nécessité de la rencontre historique de ces deux mouvements de liberté, le Groupe Charon se prépare dès maintenant à prendre toute sa part à la Fête du Mourir dont il appelle de ses vœux l’organisation sur la place de la Bastille au lendemain de la ratification de cette législation nouvelle. Il rappelle s’il en était besoin qu’il met à disposition de chacun, et à un tarif privilégié qui sera à la hauteur de l’importance de l’évènement, aussi bien le drapeau que l’hymne qu’il avait présenté dans ses billets du 25 Avril 2012. Il proposera de plus une grille tarifaire promotionnelle exceptionnelle sur tout son catalogue durant une période de deux mois suivant la promulgation de la loi. Il proposera également, en complément de son catalogue, et dans la même période, une prestation exceptionnelle collector « Fête de la Bastille » pour une euthanasie réellement inoubliable.

samedi 14 juillet 2012

Euthanasie : Le cycle des propositions de loi continue. Proposition d’avancée déterminante

Faisant suite à la proposition de loi du Sénateur Jean-Pierre Godefroy de Janvier 2011 puis de celle du Sénateur Roland Courteau de Juin 2012, vient d’être déposé le texte d’une nouvelle proposition de loi le 3 Juillet 2012 par le Sénateur Alain Fouché. Le texte de cette dernière proposition n’est pas encore disponible sur le site du Sénat, mais on peut noter que son auteur avait déjà rédigé une proposition sur le même sujet en Octobre 2008, laquelle avait été l’un des trois textes, avec ceux des Sénateurs Jean-Pierre Godefroy et Guy Fischer, à partir desquels avait été bâtie sous l’égide de Jean-Pierre Godefroy la proposition commune de Janvier 2011 rejetée en première lecture le 25 Janvier 2011.

Dans cette entreprise sénatoriale au long cours, se poursuit ainsi le cycle des propositions de loi déposées par un certain nombre de sénateurs pour lesquels le projet de légalisation de l’euthanasie leur tient à cœur et pour qui le rejet de leurs propositions n’est jamais qu’une étape sur le chemin de leur acceptation. Afin de clarifier les étapes de cette course à la fois de fond et de relais, le récapitulatif suivant mentionne pour chacun des auteurs de proposition de loi d’une part son parti politique d’origine, et pour le Sénateur Alain Fouché son implication particulière sur le sujet marquée par ses fonctions de Vice-Président de l’ADMD (Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité) :

- 28 Octobre 2008 : relative à l’aide active à mourir dans le respect des consciences et des volontés N° 65 (2008-2009), Alain Fouché (UMP, ADMD)
- 12 Juillet 2010 : relative à l’aide active à mourir N°656 (2009-2010) relative à l’aide active à mourir, Jean-Pierre Godefroy (PS)
- 13 Octobre 2010 : relative à l’euthanasie volontaire N° 31 (2010-2011), Guy Fischer (PC)
- 18 Janvier 2011 : relative à l’assistance médicalisée à mourir, proposition commune, Rapporteur de la commission : Jean-Pierre Godefroy (PS) (rejet par le Sénat en première lecture le 25 Janvier 2011)
- 31 Janvier 2011 : relative à l’assistance médicalisée à mourir N° 312 (2011-2012), Jean-Pierre Godefroy (PS)
- 8 Juin 2012 : relatif à l’assistance médicalisée pour mourir et à l’accès aux soins palliatifs N° 586 (2011-2012), Roland Courteau (PS)
- 3 Juillet 2012 : visant à légaliser une aide active à mourir dans le respect des consciences et des volontés N° 623 (2011-2012), Alain Fouché (UMP, ADMD)

Sans préjuger de l’avenir, la constance de ce cycle laisse à parier sur le dépôt d’une probable prochaine proposition de loi de la part du Sénateur Guy Fischer.

Toutefois, en l’absence de modification notable des textes proposés, et quelle que soit la persistance de la bonne volonté de leurs auteurs, les mêmes arguments ayant fait rejeter leurs précédentes tentatives risquent de bloquer à nouveau leurs nouvelles propositions. Aussi, le Groupe Charon se propose de mettre sa capacité d’analyse et de proposition au service d’une mise en forme de ces propositions plus à même de déborder les objections antérieures et de drainer l’approbation. C’est dans cet esprit qu’est ainsi abordée la réflexion suivante.

La liberté euthanasique est principalement entravée par la crainte que le candidat à l’euthanasie puisse ne pas disposer des informations complètes lui permettant de former son jugement, en particulier de celles lui permettant de poursuivre une vie non grevée de la perte de sens qu’il éprouve et le pousse à s’en détacher. C’est à cet effet que les textes antérieurs définissent des conditions légitimant ce choix, en l’occurrence par la recherche d’arguments médicaux authentifiant une situation de fin de vie de fait. C’est au même effet qu’ils mentionnent un document préalablement rédigé par le candidat et par le témoignage de plusieurs observateurs attestant d’un choix libre et éclairé.

La liberté euthanasique est également entravée par un souci qu’elle ne s’applique que lorsque la mort est proche, ce qu’authentifient les constats médicaux, comme si la crainte que cette liberté ne soit effectivement utilisée avait d’autant moins d’importance que la mort, qu’elle soit volontaire ou naturelle, doit de toute façon survenir dans le même ordre de délai.

La liberté euthanasique est enfin entravée par la crainte que l’officiant euthanasiant puisse aller au-delà d’une pratique sur les seuls candidats volontaires. C’est à cet effet que la pratique de l’acte est limitée au seul corps médical, supposé guidé par les seules considérations éthiques, et est assortie de contrôles avant et après l’acte par des pairs et par une commission ad hoc documentant et traçant les éléments de l’acte.

Mais quels que soient les procédures et les contrôles, aucun ne sera jamais suffisamment fiable pour garantir d’une part qu’aucun oubli ou qu’aucune omission ne seront pas venus fausser le caractère libre et éclairé du choix du candidat, d’autre part que la volonté du candidat n’aura pas évolué entre sa dernière confirmation et le moment de l’acte, et enfin qu’aucune intention malveillante de la part d’un officiant ne pourra être couverte par le respect de la forme d’une procédure.

De plus, limiter l’exercice d’une liberté aux seules situations dans lesquelles cet exercice est équivalent à son absence, en l’occurrence aux seules situations dans lesquelles la survenue spontanée de la mort peut survenir dans le même ordre de délai que la mort volontaire, est de fait une négation de la liberté qui est apparemment proclamée, lui ôtant dès lors toute portée, et incitant au rejet de la démarche.

Ce sont fondamentalement ces obstacles qui sous-tendent les échecs des propositions antérieures de légalisation d’une forme ou d’une autre d’euthanasie, et qui devront être surmontés pour que la liberté euthanasique puisse avoir une chance de trouver le support d’une évolution législative.

Le premier obstacle serait pourtant aisément contournable par le simple fait de poser, à l’image de la réglementation sur les prélèvements d’organes après décès stipulant l’accord implicite du donneur potentiel sauf mention expresse de sa part avant son décès, que tout citoyen est en droit de bénéficier d’une euthanasie sauf mention expresse de sa part exprimant son renoncement à ce droit.

Par le simple principe fondamental du droit que nul n’est censé ignorer la loi, la question du choix libre et éclairé tomberait dès lors d’elle-même : la liberté est inhérente à la disposition du droit à une mort choisie, et l’éclairement est le fait de la société dont le choix législatif de mettre un droit euthanasique en vigueur est le fruit de la réflexion collective éclairée du législateur.

L’obstacle de l’intention de l’officiant euthanasiant serait pour sa part également contournable en reconnaissant à la société la charge de mettre en place les moyens pour chacun de faire appliquer cette liberté nouvelle, en l’occurrence en définissant l’application de l’acte euthanasiant comme relevant d’une mission de service public. Comme toute mission de service public, celle-ci peut être soit conférée à une administration spécialement constituée soit déléguée à des opérateurs hors de l’administration mais opérant en son nom, sous son autorité et sous son contrôle. Il est clair que le contexte économique étant peu favorable à la mise en place d’une administration nouvelle, la seconde option représenterait la solution la plus adaptée, suivant entre autres exemples les expériences de délégation de service public à des entreprises de droit privé comme La Poste pour l’acheminement du courrier, la SNCM pour l’entretien de la continuité territoriale sur le transport entre la Corse et la France continentale, ou les établissements privés participant au service public hospitalier (PSPH) dans le domaine de la santé.

Une telle organisation permettrait en outre de retirer l’euthanasie de la sphère médicale, évitant par là même toute contrainte de négociation du texte avec l’ordre des médecins appesanti par des considérations éthiques et déontologiques et évitant toutes adaptations des codes et règles afférentes aux professions de santé sous l’effet de la promulgation de la nouvelle réglementation.

Elle permettrait de plus de couvrir les officiants euthanasiants contre toute accusation de meurtre illégitime, les positionnant à l’image du militaire, dans une moindre mesure du policier, du bourreau, dont la fonction de tuer est portée par une mission conférée par la collectivité, seule exception en droit à l’interdit général de tuer.

Enfin, la critique de frilosité portant sur la limitation du droit à l’euthanasie à la présence d’une pathologie incurable, ne présenterait plus de point d’appui si ce droit était reconnu simplement et inconditionnellement. La liberté nouvelle serait alors porteuse d’un contenu réel représentant un véritable progrès du droit et une véritable avancée sociale.

Par cette analyse du mouvement historique qui voit depuis des années les propositions euthanasiques buter contre le mur des conformismes, et par ses propositions concrètes et novatrices, le Groupe Charon souhaite contribuer à faire enfin éclore une société où chacun pourra disposer librement et totalement de son existence, jusqu’à son ultime étape. De cette éclosion dépendra un avenir libéré de souffrances inutiles et injustes. Le Groupe Charon, dans ce grand projet, se tient, avec sa force, son énergie, et ses moyens, au côté de tous ceux qui, représentants du peuple, ont décidé et décideront d’œuvrer avec ténacité dans ce sens.

samedi 30 juin 2012

Seconde édition du Salon de la Mort annulée

Après que sa première édition en 2011 se soit tenue sans encombre, une seconde édition du Salon de la Mort était prévue pour se tenir, toujours au Carrousel du Louvres, à Paris, en Avril 2012. Malheureusement, cette seconde édition a été annulée par ses organisateurs à peine quelques semaines avant sa tenue.


Le Groupe Charon s’était l’an dernier fait l’écho de cette heureuse initiative et avait à cette occasion exprimé tout le bien qu’il en pensait. Il avait en outre exprimé le désir de s’investir dans cette manifestation pour les années suivantes si l’occasion lui en était accordée.


Surpris par cette décision, le Groupe Charon a choisi de ne pas réagir en son heure à l’annulation de la manifestation, préférant laisser aux organisateurs la liberté de renoncer à leur choix et de maintenir finalement une manifestation allant dans le sens naturel de l’évolution sociale que le Groupe Charon entend accompagner. Ce n’est donc qu’après un délai de deux mois confirmant la décision d’annulation que le Groupe Charon en fait ici état.


Les arguments des organisateurs portent d’une part sur le contexte électoral, et d’autre part sur le contexte de crise financière faisant craindre une limitation des exposants comme du public.


S’il prend acte de ces arguments, le Groupe Charon ne les partage cependant pas et ne peut qu’exprimer sa déception. Bien au contraire, le contexte électoral, ainsi que l’a montré la résurgence à cette occasion du débat sur l’euthanasie, lui paraissait être une occasion particulièrement favorable d’aborder la problématique de la mort et des conditions du mourir. C’était en particulier une opportunité rare de confronter les professionnels du secteur à une disponibilité d’esprit particulièrement forte aux débats les plus ouverts. En particulier, le contexte de crise économique, marquant les esprits par les craintes sur l’avenir, ouvrait largement une porte sur la possibilité d’abolir les craintes sur l’avenir en abolissant l’avenir, par exemple en promouvant la démarche euthanasique. S’appuyant simplement sur la sagesse populaire reconnaissant que « Les linceuls n’ont pas de poche », il était en effet parfaitement opportun de réfléchir sur la richesse du linceul qu’autorise la concentration de la richesse personnelle sur une mort anticipée au lieu de la laisser se diluer dans le temps plus ou moins long de la vie restante.


Néanmoins, et en espérant que les organisateurs du Salon de la Mort puissent reprendre leur démarche dans les années à venir, le Groupe Charon se tient tout entier disponible pour ces prochaines éditions du Salon de la Mort qu’il appelle de ses vœux.

Euthanasie et réallocation de charges sociales

Par la liberté de programmation qui lui est liée, l’euthanasie est par essence un moyen d’abolir le risque de santé dont le coût est autrement porté par la société. Selon la date de sa mise en œuvre, elle permet d’effacer les coûts, donc en particulier les coûts sociaux, relatifs à la prise en charge de tout ou partie de la maladie et/ou de la retraite. La motivation de la demande d’euthanasie ou d’assistance au suicide ne nécessitant pas d’argument d’atteinte organique, une telle demande peut donc être posée sur le seul argument d’une souffrance psychologique intolérable, incluant par principe la souffrance liée à la perte du désir de vie dans un contexte socio-économico-environnemental donné. Le choix du moment euthanasique permet ainsi le calcul de l’économie sociale qui en résulte. C’est ce constat, et une réflexion sur la méthode de ce calcul ainsi que des potentialités qu’il ouvre, qui sont l’objet du présent billet.

Les statistiques épidémiologiques permettent de définir à chaque âge l’espérance de vie restante. Par soustraction de l’âge actuel du demandeur au jour de l’euthanasie à son espérance de vie, il vient assez simplement le nombre d’années dont son euthanasie épargne la charge à la collectivité en termes de frais de santé et de prestations retraite. L’économie réalisée en termes de prestations retraite s’obtient aisément compte tenu de ses droits à retraite, s’ils sont connus, ou peut être évalué selon plusieurs modèles, le plus simple étant l’emploi de la prestation retraite moyenne. L’économie réalisée en termes de frais de santé se calcule pour sa part aisément dès lors que sont connus les coût moyens de santé en fonction de l’âge, éventuellement affinés pour les dernières années de vie estimée par la prise en compte de la hausse des frais de santé en fonction de la proximité de la fin de la période de vie restante. Or ces coûts moyens sont accessibles à des études économico-épidémiologiques relativement simples, déjà réalisées ponctuellement dans certaines études publiées, et dont l’extension à une surveillance par un organisme officiel comme l’INSEE est parfaitement envisageable.

L’important est dès lors de réaliser que l’économie sociale d’une euthanasie en termes de coûts de santé et de prestations retraite est parfaitement mesurable, ou au moins estimable avec une finesse convenable.

Sur un plan de justice sociale et fiscale, il est alors parfaitement défendable que tout ou partie des coûts que le choix euthanasique d’un individu fait épargner à la société lui soit dévolu, par exemple pour améliorer les conditions de la fin de sa vie selon ses aspirations propres. En considérant la règle ordinaire de taxation au profit de la société de tout mouvement financier, reste ainsi à disposition légitime de l’individu un pécule auquel il peut légitimement prétendre pour en user à sa convenance avant son décès. Il répondrait de plus à la même exigence de justice sociale que les frais que l’individu pourrait engager afin de financer son euthanasie puissent être eux-mêmes défiscalisés dans la mesure où le prestataire euthanasique développe alors une activité favorisant la collecte des taxes ci-dessus mentionnées au bénéfice de l’administration fiscale et au final de la société. Cette défiscalisation aurait en outre l’effet d’optimiser les ressources que les candidats à l’euthanasie pourraient affecter à son financement, et par là rehausser le niveau qualitatif de la prestation euthanasique à laquelle ils pourraient aspirer.

On voit par là que l’introduction dans la proposition sénatoriale de loi du 8 Juin 2012 (voir notre billet du 23 Juin 2012) de l’attribution des coûts afférents à la mise en place d’une euthanasie légale en France à une surfiscalité imposée aux consommateurs de tabac est parfaitement inutile. On a déjà exposé dans le billet mentionné les raisons de son caractère à la fois stigmatisant pour une partie de la population, et de son caractère contreproductif dans la mesure où au lieu de stimuler un soutien général de l’ensemble de la population elle tend à inciter à l’opposition la population des fumeurs. On a également mentionné le doute qu’elle introduit quant à la pérennité de son financement dès lors que la population des fumeurs est invitée à décroître par les politiques modernes de santé publique. On a de plus cité le doute qu’elle fait peser sur le reste de la population d’être les prochains boucs émissaires du financement lorsque les ressources du tabac auront cessé d’être suffisamment contributives. A ces arguments viennent s’ajouter les éléments de la réflexion engagée plus haut dans le présent billet en termes de justice sociale, de source de financement fiscal à la fois juste et indolore, élément d’importance capitale dans le contexte en cours de crise des finances publiques, et de renforcement simultané de la qualité de prestation offerte aux usagers du prestataire euthanasique.

Soucieux de la qualité des prestations qu’il se propose d’ouvrir aux candidats à une mort choisie dès que cette liberté leur aura été accordée par une future réglementation, et tout autant soucieux du caractère éthique des conditions dans lesquelles peut se développer son action, le Groupe Charon veut être et rester force de propositions innovantes au bénéfice des consommateurs et futurs clients, et simultanément demeurer scrupuleusement respectueux d’une justice sociale partagée et financièrement responsable. C’est en manifestant son sérieux sur de tels enjeux et par ses propositions qu’il entend démontrer et consolider sa position de leader dans le domaine de l’euthanasie, tant au niveau de sa conception qu’à celui de sa prochaine ouverture au marché.

dimanche 24 juin 2012

Euthanasie : un simple tabou social parmi d’autres

Si chacun reconnaît que la vie peut être l’occasion de souffrances que le génie humain ne parvient pas à soulager, et que cette souffrance est liée au caractère vivant de celui qui la subit, comme en atteste le fait d’évidence qu’en l’absence de vie le même individu ne ressentirait aucune souffrance, la mort est bien un des moyens disponibles pour faire disparaître la souffrance. La réticence à mettre l’administration de la mort sur la liste des moyens légitimes et légaux de lutte contre la souffrance tient pour l’essentiel à deux a priori sociaux : d’une part celui de privilégier la vie en toutes circonstances, et d’autre part celui de refuser la possibilité pour un individu de disposer de la vie d’un autre. C’est sur la validité de ces deux a priori que repose le débat sur l’euthanasie, et sur le fait de les considérer comme des tabous que se heurte la sérénité de ce débat.

Depuis les Lumières, puis le Positivisme, jusqu’à leurs versions appliquées modernes telles que l’Evidence Based Medicine (ou Médecine fondée sur la preuve), la pensée a pris le chemin d'accepter de moins en moins d’a priori ou de tabou et de tenter autant que faire se peut de se fonder sur l’observation et l’utilisation d’une méthode de raisonnement pragmatique et logique pour traiter les observations recueillies. C’est dans cette démarche éclairée que s’inscrivent les tenants de l’euthanasie en refusant de laisser la raison se voir entravée par des tabous sociaux, reliques d’une forme de pensée antérieure à elle et les apparentant davantage à des formes de croyance qu’à la rationalité.

De fait, dans les quelques sociétés ayant accepté de s’en libérer, et de légaliser une forme ou une autre d’euthanasie (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Suisse, Oregon), rien n’indique à ce jour un quelconque glissement vers la barbarie contre laquelle ces tabous pouvaient être vus comme des remparts.

Bien que sa démarche demeure centrée sur la question de l’euthanasie et sur l’objectif de faire bénéficier le plus grand nombre de prestations euthanasiques de qualité, le Groupe Charon estime important pour le débat social et la prise de conscience commune des freins à l’adoption d’une législation ouverte sur ce plan de souligner que le renversement de tabous sociaux ne peut en aucun cas se limiter à la seule approche de l’euthanasie. La prise de conscience de l’existence de ces tabous et de la nécessité de les dépasser, en aidant à la levée des barrières mentales et sociales contre l’euthanasie, est également à même, par le même processus, de poser à la société des questions légitimes sur plusieurs autres plans.

Ainsi par exemple, si l’inceste impliquant un partenaire majeur et un partenaire mineur doit légitimement demeurer couvert par l’interdiction au motif de la réalité possiblement contrainte du consentement libre et éclairé du mineur à cet acte, rien ne permet, si ce n’est une convention sociale arbitraire, de limiter la sexualité privée entre adultes consentants quelle que soit leur proximité biologique. De fait, aucune loi ne l’interdit à l’heure actuelle en France. Par contre, au nom de quoi la législation en cours refuserait-t-elle à ces deux adultes consentant le bénéfice de toutes les dispositions sociales afférentes au statut matrimonial ou du Pacte Civil de Solidarité (Pacs) ?

Dans le même domaine, la législation sur le mariage ou le pacs en limite l’accès à un couple de personnes, reflet en cela de la norme sociale concernant la monogamie et l’interdiction de la polygamie. Cette interdiction n’est cependant pas universelle et de nombreuses sociétés ont pu choisir une convention différente sur ce point sans pour autant relever d’une accusation de barbarie. En vertu d’un principe éthique d’autonomie et du droit de chacun à sa vie privée, et en vertu d’un principe éthique de justice entre des citoyens choisissant une association matrimoniale duelle ou multiple, quel autre frein qu’un tabou injustifié empêche-t-il que la société reconnaisse à chacun la possibilité d’un partenariat avec la ou les personnes majeures et consentantes qui l’acceptent de manière libre et éclairées, avec tous les droits que confèrent ce partenariat ?

Dans un domaine très différent, l’anthropophagie est interdite en France même lorsque la personne consommée a donné librement et en connaissance de cause son accord pour que tout ou partie de son corps serve à cet usage. Ce n’est pas le cas au Japon où un fait divers récent impliquant un volontaire s’amputant lui-même d’une partie de son anatomie a pu organiser un repas proposant la pièce d’amputation préalablement cuisinée aux différents convives, et où l’intéressé n’a pu être poursuivi faute de législation prohibant le cannibalisme. La société japonaise, qui ne dispose pas de ce type de législation, peut-elle être considérée comme barbare ou au contraire exemplairement respectueuse de l’autonomie et de la liberté de ses membres à conduire leur existence comme bon leur semble pour peu qu’ils en soient conscients, consentants, et qu’ils ne portent pas atteinte à l’intégrité d’autrui ?

On voit par ces exemples que divers aspects de la vie sociale sont limités non par le désir légitime de protéger les membres du corps social, mais également par des reliques non argumentées et non encore remises en question par des mentalités éclairées et guidées par la seule force de la raison, du pragmatisme et du souci éthique de la liberté et des valeurs qui lui sont liées.

Bien sûr, il n’est ni dans les moyens ni dans les objectifs du Groupe Charon, dont la destination est toute entière orientée sur la question de l’euthanasie, de porter simultanément toutes ces possibles revendications. Mais si, en ayant éclairé les freins à l’évolution des mentalités et de la législation en montrant qu’ils sont bien plus largement en œuvre que dans le seul champ de la mort choisie, il permet de plus aisément asseoir la démarche de dépassement du tabou social sur la mort et de faciliter l’adoption d’un cadre légal ad hoc, le Groupe Charon sera heureux d’avoir apporté sa contribution.