Une évolution
récente de la réflexion juridique sur une prochaine législation pour une mort
choisie semble tendre vers une extension de la nature des directives anticipées
rédigées par un patient avant de ne plus être en état d’exprimer sa volonté. Cette
notion de directives anticipées remonte à 2005 lorsqu’elle a été conçue par la
loi Léonetti. L’évolution récente, tant dans l’avis n°121 du Conseil
Consultatif National d’Ethique de Juin 2013 que dans les termes de la
proposition de loi déposée à l’Assemblée Nationale le 13 Juin 2013 sous le n° 1140
par Madame Véronique Massonneau, députée Ecologiste de la Vienne, vise à rendre
ces directives anticipées contraignantes et opposables, au lieu de leur
conserver un rôle uniquement d’information du médecin lors des choix d’orientation
des traitements qu’il est amené à faire en fin de vie de son patient devenu
hors d’état d’exprimer sa volonté.
Si cette
disposition a manifestement pour objectif de libérer la volonté du patient de
celle d’un médecin éventuellement tenté par un acharnement thérapeutique, en
affirmant la prééminence de la première sur la seconde, le Groupe Charon tient
à alerter le législateur sur les dérives possibles d’une telle mesure.
En effet, dès
lors que des directives anticipées seraient contraignantes au motif de la
prééminence des choix du patient sur ceux du médecin, et sans autre condition,
toute volonté du patient qui y serait exprimée prendrait cette prééminence, qu’il
s’agisse d’un choix de mort choisie ou d’un choix différent, qu’il soit d’accompagnement,
d’acharnement thérapeutique, voire de demande plus spécifique.
Face à une telle
demande, la notion de refus d’obstination déraisonnable que le médecin s’impose
à lui-même, incité en cela par le code de déontologie médicale, tomberait par
exemple d’elle-même en tant qu’elle serait secondaire par rapport à la volonté
antérieurement exprimée par le patient. Et serait condamnable quiconque allègerait
ou interromprait une réanimation, une chimiothérapie, même devenue futile. De même
deviendrait obligatoire par exemple le maintien d’un soutien transfusionnel illimité
devant une leucémie évolutive malgré une efficacité devenue réduite à quelques
heures, ou l’amputation d’un membre brutalement ischémié chez un patient en
coma végétatif chronique.
Outre la
prééminence des directives anticipées sur les choix médicaux, c’est la notion
de liberté et d’autonomie du patient dans les choix concernant son état de santé
qui s’exprime dans cette disposition. Dès lors, il serait difficilement
compréhensible que cette autonomie ne puisse prévaloir que dès lors que le
patient n’est plus en état de s’exprimer et ne puisse être reconnue à un
patient conscient et lucide. Il est donc dans la nature de cette disposition de
conférer à tout patient une prééminence de ses choix face à un corps médical
dont l’action thérapeutique est dès lors définie comme étant de conseil, de
proposition, de vérification de faisabilité, et de mise en œuvre des choix du
patient. Seraient donc ainsi condamnables tous refus de geste chirurgical, de
poursuite de chimiothérapie, de soutien transfusionnel, … quels qu’en soient
les risques ou les conséquences chez un patient libre et éclairé qui les
accepterait lucidement.
Dans ce
contexte, il n’est pas douteux que l’adoption d’une disposition rendant les
directives anticipées contraignantes, surtout si elle se couplait à une vaste
campagne en promouvant la rédaction ainsi que le suggère le Comité Consultatif
d’Ethique dans son avis n°121, aboutirait certes à la rédaction d’un certain
nombre de directives imposant une mort choisie, mais stimulerait parallèlement
une campagne conduisant également à la rédaction d’un certain nombre de
directives imposant un acharnement thérapeutique. Elle créerait également un
terrain limitant de fait les possibilités de renoncement par les médecins à un
acharnement déraisonnable.
Au-delà des
situations difficiles engendrées pour des patients et leurs proches par l’introduction
d’une telle disposition, au-delà également de la transformation du rôle du
corps médical ramené à un rôle de prestataire de service et dont l’ampleur des
conséquences risque de largement dépasser la volonté du législateur, le Groupe
Charon souhaite souligner le coût des conséquences d’acharnement thérapeutique
tant au plan humain qu’au plan financier. Dans un contexte économique contraint,
tout risque de majoration des activités de réanimation ou de chimiothérapie,
voire de chirurgie, dont on connait les coûts les plus élevés parmi les actes
de soin, conduirait à un alourdissement du déficit social lié à la santé qui ne
serait probablement pas couvert par les économies réalisées lors de la mise en œuvre
de choix euthanasiques. Un chiffrage précis resterait bien sûr à effectuer, mais
en son absence il paraitrait déraisonnable de ne pas appliquer le principe de
précaution au risque de dérapage des coûts de la santé. D’autant que ce risque
trouve face à lui certaines propositions alternatives déjà avancées par le
Groupe Charon visant à exclure les prestations euthanasiques du champ de l’assurance
sociale, sous réserve de compensation financière des postulants à l’euthanasie
à hauteur de tout ou partie des économies de dépenses de santé alors réalisées
et destinée au financement des prestations euthanasiques. Une telle orientation
permettrait à la fois de renforcer l’initiative entrepreneuriale privée dans le
domaine de la mort tout en amoindrissant les coûts supportés par la collectivité
à la jonction de la vie et de la mort. Elle ne remettrait en rien en cause le
statut et le rôle de corps médical et éviterait ainsi toute friction dommageable
à la liberté du patient comme du médecin.
Par cette alerte
au législateur en particulier et du corps social en général dans la perspective
du large débat citoyen annoncé pour l’automne 2013 autour des questions de fin
de vie, le Groupe Charon souhaite apporter toute sa contribution à la réflexion
commune, mettant sa force d’analyse et de proposition à la disposition de l’émancipation
des libertés.
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